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Première publication in Faeries 6 – novembre 2001
• Commençons par Tolkien puisque, justement, c’est par lui que tout a commencé. As-tu vu « La Communauté de l’Anneau » ? Que penses-tu du film ?
Nicolas Cluzeau : Oui, j’ai vu le film de Peter Jackson. Compte tenu des contraintes imposées par le livre, je trouve qu’il s’est très bien débrouillé. Mon avis est qu’il en a fait un très bon film d’aventures en fantasy. Certes, il manque certaines choses. Certes, les puristes crient au scandale. Pour ma part, je suis allé voir ce film en pensant qu’il ne s’agissait que d’une œuvre tirée d’une autre œuvre. Comment juger en comparant ce qui n’est pas comparable ? Au final, j’ai trouvé les acteurs bons, je ne me suis pas ennuyé une seule minute, et je me suis même régalé de tous les effets et de tous les décors.
• Comme Tolkien, tu as façonné ton monde sur le modèle du nôtre. Pourquoi ce choix, plutôt que de créer un univers totalement distinct ?
N. C. : Parce que mes références sont celles de notre monde. Pour que l’identification soit la plus parfaite possible, je pense qu’il faut créer des mondes imaginaires certes, mais avec des référents solides à la réalité et à la culture de notre monde.
• Nordhomme est un équivalent des pays scandinaves, l’Empire et la République lattes sont calqués sur le modèle romain, Sarengard rappelle l’Empire Germanique… Quant à Sarmes, décor de ta nouvelle « L’affaire du millénaire désenchanté », elle fait beaucoup penser à la Grèce antique, avec son Roi-Philosophe, ses Érudits et son appartenance aux « Cités Parfaites » (équivalent des antiques cités-états ?) sans parler de certains noms de personnages (Xermès, Timonidès, etc.) pourtant, ils vénèrent le même dieu que les lattes, Jovir, qui semble correspondre au Jove ou Jupiter des Romains… ?
N. C. : C’est exact, j’ai voulu que le sud du continent et les îles du sud vénèrent les mêmes divinités parce que leurs histoires sont liées de très près par les légendes et les mythes, même si leurs divergences culturelles sont énormes quelquefois. Tu auras remarqué que la plupart des pays s’avancent dans une espèce de technologie fin de Moyen Âge / début Renaissance tout en gardant les divinités anciennes. C’est voulu, puisque les dieux sont bien présents et leurs pouvoirs aussi, à travers la magie et les prêtres qui les servent. Donc il n’y a aucune raison de remettre en question le bien-fondé de la religion polythéiste, à part pour les fanatiques du Pays Vernes et leur Dieu Jaloux.
• À la différence de notre monde, les dieux dans le tien semblent bien réels. S’ils restent à peine évoqués la plupart du temps, certains indices semblent témoigner de leur réalité (comme cet ange déchu dans « L’affaire des saveurs oniriques »). Comment expliques-tu l’existence simultanée des divinités de différentes religions, en considérant que chaque religion de notre monde renie la validité des autres ?
N. C. : Le monde de Nordhomme n’est qu’un des nombreux qui peuplent mon multivers. Les divinités sont omniprésentes dans tous ces mondes, et crois bien qu’elles ont du travail pour parachever leurs œuvres et étendre leur influence. Chaque panthéon existe réellement et est différent suivant les nations ou les civilisations parce qu’il existe une multitude de divinités sur tous ces mondes parallèles coexistants. Dans un de ses cours, un mage a dit : « L’état dit divin n’est que le barreau suivant sur l’échelle de l’évolution sociale des magiciens. » De là à penser que les divinités sont en fait des humains qui ont accumulé tant de pouvoirs qu’ils en sont devenus des dieux, il n’y a qu’un pas à franchir. Mais j’hésite à le faire, puisqu’en tant qu’auteur, je dois respecter tous les avis de mes personnages et forger des légendes qui contredisent cette phrase iconoclaste. (sourire)
• Une chose qui m’a frappée dans tes récits – aussi bien les romans que les nouvelles – est ta capacité à manipuler le lecteur. Penses-tu qu’il soit important de tant dissimuler tes intentions ?
N. C. : Dans un récit, j’aime être surpris au moins à tous les chapitres. Coup de théâtre, révélations surprenantes (même en cours de récit), retournement de situation, imprévisibilité de l’histoire et changement de personnage soudain ; rien ne me fait plus plaisir lorsque je lis un livre ou regarde un film. J’aime qu’on me manipule lorsque je lis, c’est ce que j’appelle l’immersion dans le récit. J’essaie donc de reproduire cela du mieux que je puis lorsque j’écris, parce que j’aime me surprendre moi-même et aussi surprendre mes personnages.
• N’as-tu donc aucun scrupule ? (sourire) Je pense bien sûr à Erika. La fin de ce livre est particulièrement cruelle et inattendue. D’ailleurs, il m’a semblé bien plus noir qu’Embûches.
N. C. : Embûches n’était qu’une forme d’introduction amusante au monde de Nordhomme. Si je devais le réécrire, je le ferai totalement différemment maintenant. J’ai changé, mon style a changé, mes envies ont changé. Erika était pratiquement terminé lorsque j’ai commencé la rédaction d’Embûches qui devait n’être qu’un prologue au cycle. Mais il est vrai qu’Erika est plus noir, car plus ancré dans une logique politique et sociale. Le monde n’est ni blanc ni noir lorsque j’écris. J’essaie de nuancer tout en gris, et la fin d’Erika en est un exemple frappant. Nombreux sont ceux qui me l’ont reproché.
• Tu parviens à écrire deux romans d’un cycle en les rendant pratiquement indépendants l’un de l’autre, et ce en ne dévoilant finalement que très peu d’éléments de l’intrigue globale. Ce qu’on peut en voir, par contre (en particulier dans Erika), laisse présager un complot d’une grande complexité. As-tu déjà déterminé tous les détails, ou les conçois-tu à mesure que tu écris ?
N. C. : Oui, tous les détails sont déjà déterminés, et cela depuis de nombreuses années. Après Erika j’ai prévu deux autres tomes. Un tome qui suit les aventures de Thorka et Mycroft (qu’on entrevoit ou dont on parle dans les deux premiers tomes), à la capitale de Nordhomme et dans un autre monde, et un autre qui suit Starkad en Orlandie, faisant suite à Erika. Ces deux tomes sont plus tournés vers le complot attaquant puis la contre-attaque. Les personnages et le décor social s’effaceront plus au profit de l’écoulement de l’action (quoique…).
• À quand cette suite ?
N. C. : Avec mon travail actuel et mes projets, il est difficile de prévoir la suite. Je voudrais d’abord réécrire complètement Embûches, pour qu’il forme un partenaire plus homogène avec Erika, puis réécrire légèrement Erika, et alors je m’attellerai à la suite.
• Harmelinde et Deirdre, par contre, explore un autre aspect de Nordhomme. En fait, on y découvre d’autres pays et l’on y apprend davantage sur le fonctionnement de la magie. Pourquoi ce choix de personnages ?
N. C. : Harmelinde m’a été inspirée par une amie qui décrivait un personnage qu’elle avait créé pour un jeu. Elle disait que les magiciens ont bien de la famille eux aussi, et pourquoi pas des enfants dont il faut s’occuper ? J’ai pensé alors à créer comme dans tout bon récit policier ou de mystère un couple, mais celui-ci composé d’une mère et de sa fille. J’ai écrit un premier long récit « Sage comme une image », qui a été raccourci avant sa première publication, puis j’ai pris goût à les voir évoluer, et je me suis mis à écrire des histoires avec ces deux personnages évoluant au fur et à mesure des affaires. Elles me sont particulièrement chères, et nombreuses sont les affaires qu’elles ont résolues entre chacun des récits du recueil.
J’en écrirai d’autres, c’est certain, pour explorer les divers pays de ce monde, si je ne peux pas le faire avec des romans.
• Ces six nouvelles font beaucoup penser à Sherlock Holmes… Serais-tu un fan de Conan Doyle ?
N. C. : Un peu, oui ! J’ai tout lu et relu, tout vu et revu Sherlock Holmes. Je ne suis pas un fan, mais j’aime cette ambiance de mystères résolus avec brio. Cependant, je ne cherche pas à rivaliser ou à m’en inspirer. J’en serai tout bonnement incapable. Je préfère inventer des affaires pour mes personnages qui correspondent à leurs compétences et au monde qui les environnent.
• Harmelinde et Deirdre sont confrontées à des créatures de plus en plus puissantes au fil des pages. Dans les trois derniers textes, on a d’abord un pseudo-prince-démon, puis un ange déchu et enfin un dragon et une créature d’essence divine. Les magiciennes semblent avoir de moins en moins le contrôle, reposant souvent sur d’autres personnages… pourtant, je trouve que ces récits sont les plus forts du recueil, peut-être justement parce qu’ils nous montrent des héros qui – malgré tous leurs pouvoirs – ne sont pas invincibles et peuvent être dépassés par les événements ?
N. C. : C’est amusant, parce que ces récits ont été écrits à des moments très différents et dans un désordre que ne montre pas le recueil. Par exemple, « L’affaire de la forêt déménageuse » a été le dernier que j’ai écrit, alors que « Le syndrome du dragon inversé » a été le troisième. Mais effectivement, j’ai voulu montrer que les héros ne sont que des humains (même si Deirdre a un côté féerique) avec des défauts et la mortalité qui en découle. La fragilité du héros face à l’adversité est un de mes principaux thèmes. Tout être humain, quel qu’il soit, a des failles que l’adversité va exploiter. C’est inévitable. Notre monde est ainsi fait, et pourquoi les humains des autres mondes changeraient ? Jack Vance l’a bien souligné dans ses romans futuristes : la mesquinerie et la fragilité humaines sont toujours présentes, quels que soient le lieu et l’époque.
• Tu bosses aussi dans les jeux vidéo. Y’a-t-il de grandes différences dans le processus d’écriture ?
N. C. : Tout à fait. Le processus d’écriture d’un auteur seul vient justement du fait qu’il est seul et qu’il peut tout organiser à sa guise : temps d’écriture, cohérence du monde, personnages, pratiquement tout (pratiquement, puisque l’éditeur et le directeur littéraire sont là pour mettre le holà si besoin est).
Dans le jeu vidéo, on fait partie d’une équipe et l’auteur doit plier son imagination aux contraintes techniques imposées par l’entreprise. C’est quelquefois frustrant, mais l’impression de donner naissance à un projet particulièrement gigantesque est sans précédent. De plus, l’expérience aidant, l’écriture dans le jeu vidéo permet de structurer son travail d’écrivain et d’acquérir une discipline, en tout cas pour moi.
Propos recueillis en janvier 2001 par Alexandre Garcia, parus dans Faeries 6
Note : depuis la parution de cette interview, Nicolas Cluzeau a publié la série en quatre tome « Le dit de Cythèle », le recueil mettant en scène Harmelinde Chroniques des Franges Féeriques et L’Arche des Tempêtes.
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